Ai-je conscience que je suis missionnaire à la suite du Christ, envoyé par le Père, et que je le suis au sein d’une Église en marche, appelée à être tout entière missionnaire ?
Chers Frères et Sœurs,
Nous allons bientôt entrer dans le mois de la Mission et, le 19 octobre, avec l’Eglise universelle, nous fêterons la 49ème journée mondiale des missions, qui a pour thème : « Missionnaires de l’espérance parmi les peuples », un thème bien ancré dans l’année jubilaire. Notre défunt Pape François avait préparé pour cette occasion un beau message, dans lequel il a rappelé « quelques aspects pertinents de l’identité missionnaire chrétienne ».
Je souhaite ici les reprendre succinctement, afin de nous exhorter à les incarner dans notre vie d’Oblates, religieuses missionnaires, et plus largement de baptisés, disciples-missionnaires. Après cette présentation, je vous exposerai quelques idées-forces d’une conférence très intéressante donnée lors de l’Assemblée plénière de l’UISG1 en 2022, par sr Anne Falola, sœur missionnaire de Notre Dame des Apôtres. Cette dernière a travaillé au Nigeria, son pays d’origine, en Argentine et brièvement au Royaume-Uni. Sa conférence s’intitule : « La vulnérabilité des missionnaires ». Vous y découvrirez un autre éclairage sur la mission, vécue par une missionnaire africaine. Ce point de vue pourra enrichir notre réflexion sur la mission et vous rejoindra certainement dans votre propre expérience.
I. Quelques aspects de l’identité missionnaire chrétienne (message du Pape François)
1. Sur les traces du Christ, notre espérance
Pour François, Jésus est le modèle suprême du missionnaire de l’espérance. Il a vécu les fragilités humaines, mais a toujours gardé confiance en Dieu. L’Église est appelée à prolonger cette mission, même dans les épreuves, en étant active et missionnaire, non statique : « Sentons-nous donc inspirés nous aussi à nous mettre en route sur les traces du Seigneur Jésus pour devenir, avec Lui et en Lui, des signes et des messagers d’espérance pour tous, en tout lieu et en toute circonstance que Dieu nous donne de vivre. Que tous les baptisés, disciples missionnaires du Christ, fassent briller son espérance en tous les coins de la terre ! »
2. Les chrétiens, porteurs et constructeurs d’espérance
Les disciples du Christ doivent partager la vie concrète des peuples et être proches des souffrants. A ce sujet, le Pape précise : « je pense en particulier à vous, missionnaires ad gentes, qui, suivant l’appel divin, êtes allés dans d’autres nations pour faire connaître l’amour de Dieu dans le Christ. Merci de tout cœur ! Votre vie est une réponse concrète au mandat du Christ ressuscité, qui a envoyé les disciples pour évangéliser tous les peuples (cf. Mt 28, 18-20). Ainsi vous rappelez la vocation universelle des baptisés à devenir parmi les peuples, par la force de l’Esprit et l’engagement quotidien, des missionnaires de la grande espérance que nous donne le Seigneur Jésus. »
Mais dans quel contexte s’exerce cette mission ? Le Pape souligne la crise de l’humain dans les sociétés modernes : isolement, perte de proximité, individualisme. Il affirme : « dans les pays les plus avancés technologiquement, la proximité est en train de disparaître : nous sommes tous interconnectés, mais nous ne sommes pas en relation ». Heureusement, l’Évangile vécu en communauté peut restaurer une humanité saine et rachetée. Cela passe par des actions concrètes : porter « une attention particulière aux plus pauvres et faibles, aux malades, aux personnes âgées, aux exclus de la société matérialiste et consumériste. Et à le faire avec le style de Dieu : avec proximité, compassion et tendresse, en prenant soin de la relation personnelle avec les frères et les sœurs dans leur situation concrète.»2
3. Renouveler la mission de l’espérance
« Face à l’urgence de la mission de l’espérance aujourd’hui, les disciples du Christ sont appelés en priorité à se former pour devenir des “artisans” d’espérance et des restaurateurs d’une humanité souvent distraite et malheureuse ». Pour cela, ils doivent renouveler leur spiritualité pascale : « Nous sommes baptisés dans la mort et la résurrection rédemptrice du Christ, dans la Pâque du Seigneur qui marque le printemps éternel de l’histoire. » Comment ? Par la prière et la pratique des sacrements : « Les missionnaires de l’espérance sont des hommes et des femmes de prière, parce que ‘‘la personne qui espère est une personne qui prie’’3 (…). En priant, nous gardons allumée l’étincelle de l’espérance, allumée par Dieu en nous, pour qu’elle devienne un grand feu qui illumine et réchauffe tout autour, y compris par des actions et des gestes concrets inspirés de la prière. »
Le Pape insiste sur la « synodalité missionnaire de l’Église » : « l’évangélisation est toujours un processus communautaire. C’est pourquoi, il termine son message par un appel : « je vous exhorte tous, enfants, jeunes, adultes, personnes âgées, à participer activement à la mission évangélisatrice commune par le témoignage de votre vie et par la prière, par vos sacrifices et votre générosité. Merci beaucoup pour tout cela ! »
II. La vulnérabilité des missionnaires (réflexion de sr Anne Falola)
Cette conférence de sr Anne Falola a été donnée en ligne, lors de l’Assemblée plénière de l’UISG de 2022, qui avait pour thème : « Embrasser la vulnérabilité sur le chemin synodal ». Elle a pris place dans un contexte de pandémie de COVID-19 (certains pays étaient sortis de l’épidémie, d’autres non…), une pandémie qui a révélé la grande vulnérabilité de l’humanité entière.
1. La vulnérabilité dans la mission chrétienne
La conférencière commence par rappeler que la vulnérabilité est « une qualité fondamentale de toute mission chrétienne authentique. En effet, nous sommes appelés à suivre le Christ, qui ‘‘ayant la condition de Dieu, ne regardait pas l’égalité avec Dieu comme quelque chose à exploiter, mais s’est dépouillé lui même, prenant la forme d’un esclave… ’’ (Ph 2,6-8) ». Elle affirme : «La kénose4du Christ fait de la vulnérabilité une manière d’être missionnaire et un moyen important pour la mission. »
Ensuite, elle distingue deux types de vulnérabilité : d’une part, la « vulnérabilité d’en haut », qui réside dans le choix de renoncer au pouvoir et à l’honneur, d’autre part, la « vulnérabilité d’en bas », qui consiste dans l’acceptation de notre condition humaine, avec ses limites et ses imperfections. Pour elle, les missionnaires « ad gentes » sont appelés à vivre ces deux dimensions : « pour nous, missionnaires,
la vulnérabilité est un atout pour la mission plutôt qu’un fardeau, car elle nous permet d’entrer plus profondément dans la réalité humaine par notre propre participation à ce qui est faible, opprimé et pauvre. Lorsque nous embrassons notre propre vulnérabilité, nous devenons plus proches des personnes qui ont besoin de lumière et de libération. Le voyage le plus exigeant pour nous, comme disciples missionnaires, n’est peut-être pas la distance physique que nous parcourons mais le voyage intérieur, vers l’abandon de nos sécurités et l’acceptation de nos propres vulnérabilités. »
2. Un nouveau printemps de la mission
Sr Anne Falola fait ce constat : l’Afrique, autrefois perçue comme un simple récepteur de missions, est maintenant un acteur missionnaire à part entière, grâce au fort développement du christianisme en Afrique. Elle donne un chiffre éloquent : « alors que l’on estimait à 4 millions le nombre de personnes professant le christianisme en 1900, le christianisme africain est passé à plus de 300 millions d’adhérents en l’an 2000 »5. Dans la nouvelle dynamique missionnaire, tous les pays sont à la fois donneurs et receveurs. Nous avons quitté le temps où la mission était associée à la colonisation et à l’occidentalisation. Nous vivons « un nouveau printemps de la mission », une mission « inter-gentes »6, avec sa beauté et ses défis, portée par des communautés internationales et interculturelles.
3. Prendre conscience de ma propre vulnérabilité
Sr Anne Falola partage son expérience personnelle. Elle évoque les préjugés auxquels elle a fait face en tant que missionnaire africaine : « lorsque j’ai quitté l’Afrique en 1994, j’ai compris que je n’étais pas reçue comme une missionnaire, mais plutôt comme une travailleuse migrante venue chercher une vie meilleure. (…) J’ai compris que pour beaucoup de gens hors d’Afrique, le continent n’était associé qu’à la pauvreté, la guerre, la violence, le désordre (…). Si ces réalités ne peuvent être niées, l’Afrique est aussi une terre de promesses, grâce à sa vie dynamique, sa résilience, sa jeunesse, son amour de la communauté, son hospitalité, sa générosité et sa piété ». Sr Anne conclut ce passage en affirmant que la vulnérabilité doit être embrassée pour surmonter les stéréotypes et affirmer la dignité et les contributions des
Africains.Instances de vulnérabilité missionnaire – une perspective africaine
La conférencière introduit ce développement par ces mots : « être missionnaire aujourd’hui implique notre ouverture à travailler avec d’autres à la construction d’une nouvelle humanité ; les missionnaires sont des hommes et des femmes de communion. Notre tendance, en tant qu’Église, à nous accrocher à nos positions et à mépriser les contributions des autres a dû céder devant la reconnaissance des vérités des autres. La mission aujourd’hui est inter-gentes – parmi les personnes d’autres croyances et cultures ; c’est un appel renouvelé à écouter les autres avec respect et non avec une arrogante autosatisfaction ».
Elle expose ensuite quelques-unes des situations qui nous rendent plus vulnérables aujourd’hui :
➢ « L’espace du ‘‘Vide’’ – Dans l’effort de s’adapter aux circonstances de la mission, on passe par une période de transition qui implique l’adaptation émotionnelle, psychologique, sociale et parfois physique et linguistique. Au moment d’entrer dans une nouvelle mission, il faut laisser tomber le passé (…) et embrasser une nouvelle réalité. Un missionnaire est comme un enfant qui doit apprendre dans un environnement inconnu et plein d’incertitudes. »
➢ « Le manque d’antécédents missionnaires – Venant d’Afrique, beaucoup d’entre nous sont probablement la première génération de missionnaires de nos communautés. Les attentes ne sont pas claires et, dans beaucoup de cas, nos modèles missionnaires proviennent d’autres cultures. Nous avons la tâche difficile d’organiser des structures qui peuvent soutenir et maintenir notre vocation missionnaire – à donner et recevoir. »
➢ « Les missionnaires sont aujourd’hui une minorité vulnérable – (…) il existe des tendances antichrétiennes et parfois xénophobes, qui visent en partie les missionnaires. (…) Avec des effectifs réduits, les missionnaires sont une espèce en voie de disparition. »
➢ « Insécurité et violence – La violence permanente et l’insécurité mondiale ont accru la vulnérabilité des missionnaires qui sont souvent victimes d’enlèvements, de tortures et d’horribles meurtres. »
➢ « Défis de financement » – Le manque de finance empêche de développer certains projets répondant au charisme des Congrégations.
➢ « Vulnérabilité prophétique – En tant que prophètes, nous devons parfois bousculer le statu quo et contester l’abus de pouvoir des dirigeants politiques et parfois religieux ». De plus, face aux abus de certains religieux eux-mêmes, « il nous faut la kénose du Christ pour abandonner nos privilèges et embrasser la vulnérabilité prophétique ».
➢ « L’interface entre la culture africaine et le christianisme – Il y a beaucoup de domaines de convergence entre les cultures africaines et le christianisme, mais il existe aussi des zones de tension qui nécessitent un discernement constant ».
Sœur Anne Falola termine sa réflexion en contemplant l’icône de Jésus et de la Samaritaine, histoire de la rencontre entre deux personnes vulnérables : Jésus a faim et soif, il est fatigué et il est étranger ; la Samaritaine est en quête d’amour et de sens à sa vie. « Dans cet épisode, Jésus nous enseigne une fois de plus l’importance de la vulnérabilité, non seulement comme un idéal pour la vie spirituelle mais également comme un outil pour la mission. »
III. Méditation personnelle et communautaire
A partir de ces textes, que ce mois de la mission soit l’occasion pour nous de nous interroger :
• Ai-je conscience que je suis missionnaire à la suite du Christ, envoyé par le Père, et que je le suis au sein d’une Église en marche, appelée à être tout entière missionnaire ?
• Est-ce que je nourris l’espérance en moi par la prière et par des œuvres de miséricorde ?
• Est-ce que j’accueille la vulnérabilité dans ma vie de missionnaire ? Est-ce que je la vois comme une opportunité ou comme un fardeau ? Quelles vulnérabilités puis-je repérer dans ma vie ? Comment puis-je y faire face ?
• Suis-je convaincue que nous vivons un « printemps de la mission » ou au contraire un déclin missionnaire ?
• Comment répondons-nous en communauté, en Province ou en Congrégation aux défis que la mission nous lance aujourd’hui ?
• Est-ce que je me laisse toucher par la soif de Jésus ? Répond-elle à ma propre soif ?
Avant de conclure cette lettre, je vous rappelle que la Congrégation a produit des « fiches missionnaires » : d’une part, pour aider les missionnaires ad gentes à préparer leur mission et à la relire ; d’autre part, pour aider les communautés à accueillir les missionnaires « venues d’ailleurs ». Vous pouvez vous les procurer auprès de votre secrétaire (vice-) provinciale. Excellent mois de la mission à tous et à toutes !
Sr Zoé VANDERMERSCH, Supérieure Générale

1L’UISG est l’Union Internationale des Supérieures Majeures.
2 Cf Bulle d’indiction du jubilé, Spes non confundit, n°s7 à 15.
3 cf. Cardinal F.X. Nguyen Van Thuan, Le chemin de l’espérance, Rome 2001, n. 963.
4 Le terme vient du grec ancien, κένωσις, kenosis : « action de vider, de se dépouiller de toute chose », provenant du verbe kénoô (κενόω) : « vider », « se dépouiller de soi-même ».
5 La chercheuse Nilay Saiya disait en 2021 : « Aujourd’hui, il y a près de 700 millions de chrétiens en Afrique, ce qui en fait le continent le plus chrétien du monde en termes de population. »
6 « La missio inter-gentes est une approche missionnaire, applicable dans tous les contextes, qui considère les «gentes » non pas comme l’objet de notre effort de conversion mais comme des « invités » à qui nous pouvons offrir l’hospitalité et des « amis » qui peuvent, à terme, nous accueillir et nous offrir l’amitié ». (Note de l’auteure)
