Relire la présence de Dieu dans notre vie. Deux étapes :

Fondation–développement de la mission–période de clandestinité1925–1989.

Chute du communisme – renaissance de la Congrégation 1989 – 2025.

Vivre en plusieurs étapes le Centenaire de la fondation des OA en Roumanie nous donne l’occasion de relire une longue histoire vécue sous le regard de Dieu. Nous nous souvenons avec reconnaissance des Sœurs qui ont contribué à mettre les bases de la présence, de la mission des Oblates en Roumanie, ainsi que des Sœurs qui ont fait avancer le Règne de Dieu en terre roumaine.

Relire l’histoire des OA en Roumanie, c’est reconnaître Dieu à l’œuvre dans la vie des Sœurs, en temps favorable de paix, de prospérité, mais aussi durant la terrible période de persécution… Cette relecture permet d’unifier, de situer le présent dans la ligne d’un passé et d’un avenir, et de tisser entre eux une continuité, car le présent n’a de valeur que s’il est enraciné dans un passé et ouvert à un avenir.

Pendant cette année jubilaire, nous demandons au Seigneur la grâce de parcourir, d’une manière plus approfondie, l’itinéraire historique, humain et spirituel de notre Congrégation en Roumanie. Conscientes que beaucoup de travail à ce niveau reste encore à faire, c’est ensemble, en Congrégation et avec nos amis, nos collaborateurs que nous pouvons contempler avec émerveillement et action de grâces, les figures de nos Sœurs qui ont vécu avec foi, audace, générosité et désintéressement cette « Aventure Spirituelle et missionnaire. »

1925 Fondation : « Accueillir et fructifier la mission qui nous a été confiée »

Les Pères de l’Assomption arrivèrent en Roumanie en 1923, à Blaj, et en septembre 1924, ils s’établirent dans le centre intellectuel de Beïus. Ils y dirigeaient un internat de deux cents garçons. Pour rendre plus efficace leur apostolat auprès de la population, ils souhaitèrent une collaboration féminine : les Oblates de l’Assomption.

Mgr Valeriu TRAIAN FRENȚIU et les Oblates de l’Assomption

Les Oblates de l’Assomption arrivèrent en Roumanie, à Beïus, le 8 septembre 1925, à la demande de son excellence Mgr VALERIU TRAIAN FRENȚIU, d’heureuse mémoire, évêque de l’éparchie (diocèse) gréco-catholique d’Oradea. Comme dans son diocèse il y avait un lycée de filles, il voulait confier aux Oblates la charge de l’éducation des élèves et la gestion de l’internat.

Les Oblates, fidèles au charisme missionnaire de la Congrégation, ont répondu positivement à cet appel :« Mevoici,envoie-moi ».

Le 5 septembre 1925, Sr M. Josépha LAGACHE, de la Communauté de Haïdar-Pacha, Sr M. Eustochium LAVERDURE, de Kara-Agatch, Sr M. Valentine POLGE, de Koum-Kapou, quittent Istanbul et arrivent à Beïus le 8 septembre 1925, d’où le vocable donné à leur première maison : la Nativité de la Vierge Marie.

Peu de temps après, d’autres Sœurs les rejoignent : Sr Anne-Marie DJIDROFF, qui connaissait la langue roumaine, Sr M. Emmanuela PINEAU venant de Varna, Sr M. Lioba SEEGER, de Phanaraki.

Dès le 22 septembre, la petite Communauté inaugure son apostolat sur la terre roumaine en assistant à la première messe de rite byzantin célébrée dans leur chapelle.

En octobre 1927, les Oblates fondent une Communauté à Cluj Napoca. Sr Emmanuel LOBBE est la responsable de la mission et dirige le foyer franco-roumain des étudiantes. Sr Marie-André DE LA FONTAINE SOLARE et Sr M. Lioba SEEGER se joignent à elle. Leur mission : donner des leçons de français. L’année scolaire s’achève avec seize étudiantes. Mais suite à certaines difficultés mettant dans l’indécision un agrandissement possible, les Sœurs se voient dans l’obligation de se retirer le 15 septembre 1928.

A Beïuș, les Sœurs s’insèrent dans le milieu et assez vite, des vocations se font jour. A partir de 1930, l’activité apostolique des Sœurs, bénie de Dieu, est féconde, les vocations affluent et bientôt des postulantes sont envoyées au noviciat de Sèvres, en France. En l’espace d’une dizaine d’années plus de vingt postulantes partirent pour la France.

Beius 1936

La guerre compliqua les relations avec la France : communications et relations difficiles… Il n’était plus possible d’envoyer les postulantes en France ; des démarches furent entreprises, en vue de créer un noviciat à Beïus. Rome donna l’approbation, le 17 mars 1942 et Mère Barthélemy BARGHER nommée Maîtresse des novices est aidée de Sr Anne-Marie DJIDROFF et des Sœurs roumaines. Première prise d’habit de trois postulantes, le 17 novembre 1942.

En 1944,l’école de Beius est transformée en hôpital de la Croix Rouge, le noviciat doit quitter la ville, à la recherche d’un logis. Au retour, les Sœurs ne peuvent que constater les ruines de la maison du noviciat. Les novices de 2ème année sont envoyées en stage à l’hôpital Panduri de Bucarest, où elles sont acceptées comme infirmières. Mère Barthélemy reste à Beïus avec six professes, vingt-deux novices et une postulante.

Apostolats florissants, après la guerre !

Le 19 juillet 1946, le P. Vitalien LAURENT écrit à Mère Marthe WOURMS et lui parle d’un projet de fondation qu’il avait en vue pour les Oblates de Roumanie et auquel il attachait beaucoup d’importance. Il s’agissait d’une fondation nouvelle où l’Assomption pourrait développer un apostolat fécond.

A Tomnatic il y avait des Français, et on pouvait ouvrir, dès septembre, un Jardin d’Enfants et une école primaire de langue française pour deux cents enfants. Cette belle œuvre des Oblates n’eut pourtant qu’une courte durée. Dès l’instauration d’un gouvernement communiste en 1948, les écoles furent nationalisées et on a défendu aux religieuses d’enseigner. Elles ont dû retourner soit à Béïus, soit à Bucarest.

Bucarest : Foyer « Sainte-Monique » pour les étudiantes

Le 11 novembre 1942, Sr Alicia GHEORGHIU et Sr Virginia TOMOIAGA font part de ce grand événement à Mère M. Michaël RAINFRAY en lui partageant la nouvelle de l’acquisition d’une maison « qui n’est pas grande, mais charmante». Plus de vingt étudiantes se sont présentées, mais elles n’en ont accueilli que douze. Après la bénédiction de la chapelle, la première messe a été célébrée par les Pères BARRAL et LAURENT.

Bucarest : l’Hôpital Panduri

En 1946, l’hôpital Panduri a été pris en charge par les Oblates et le Foyer accueillit les Sœurs désignées pour cette fondation durant toute la période où s’accomplissait le gros travail de reconstruction et d’équipement de l’immeuble. L’œuvre hospitalière qu’elles avaient acceptée était une œuvre d’envergure, « Œuvre d’Église ». Nous comprenons la ferme détermination du Nonce Apostolique et de l’Evêque catholique de Bucarest de confier à des religieuses le Centre hospitalier que les autorités civiles convoitaient.

Dans ce grand Centre chirurgical qui comptait cent-vingt malades, il y avait alors sept Oblates. Sr Marie de l’Annonciation était responsable, sans aucune aide, de tout ce qui concernait l’administration et, lorsqu’on lui demandait comment elle pouvait « tenir », elle disait en souriant « Dieu est le maitre de l’impossible ». Quand survint, en 1948, la nationalisation de l’hôpital, on jugea que neuf personnes étaient nécessaires pour la remplacer et, lorsque le travail était mal fait, le Professeur BURGHELE s’exclamait : « Dire que tout ce travail a été fait par une seule femme !… Mais quelle femme !1 « 

L’année 1946 fut très douloureuse pour le pays !

Les arrestations pour motif politique étaient devenues fréquentes, tout le monde vivait dans l’insécurité mais non sans l’espoir que quelque chose interviendrait, que la situation changerait…

A la fin de l’année 1947, la Congrégation comptait en Roumanie: vingt professes, dont cinq françaises, cinq novices de seconde année, cinq novices de première année, sept postulantes, dix candidates sur le point d’être admises au postulat, et en 1948, vingt-cinq candidates à Bucarest. Professions religieuses, vêtures, entrées au postulat se succédaient, porteuses d’action de grâce, de générosité et d’heureuse confiance, en dépit des difficultés sans cesse renaissantes dont chacune sentait le poids.

Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1948, la loi de nationalisation frappa les écoles et les établissements hospitaliers… C’est le cœur lourd de chagrin, mais vivant en esprit et en vérité l’oblation de leur vocation, que les Oblates quittèrent l’Internat de Beïuș fin juin 1948 et partirent les unes vers le Noviciat, les autres vers l’Hôpital de Bucarest. Le 5 août 1948, l’abandon des œuvres d’enseignement si profondément empreintes d’œcuménisme était consommé.

La prière au cœur de la mission.

Face à ces épreuves, les Sœurs n’ont cessé de prier et d’espérer des jours meilleurs. Au cours de l’été 1955, certains événements survinrent qui remplirent les cœurs de joie et firent renaître l’espoir.

Les arrestations étaient moins nombreuses puis, ce fut tout à coup la mise en liberté d’une série de détenus politiques, parmi lesquels de nombreux prêtres gréco-catholiques : le P. Stephan BERINDE AA qui, avec ses co-détenus, avait passé sept années en prison sans avoir été ni jugé, ni condamné.

En réalité, les Sœurs ne pouvaient pas deviner que la tempête qui avait emporté tant de nos connaissances ne s’était tue que pour reprendre souffle. Elles ne pouvaient pas supposer qu’un nouvel ouragan se préparait sourdement et que cette fois-ci il atteindrait aussi les Sœurs.

Voyant que le climat du pays s’est apaisé, les Sœurs proposent à Mère M. Augustine VIGNE de venir leur rendre visite en Roumanie. C’est ainsi que le 23 août 1956, jour de la fête nationale du pays, alors que le calme règne à l’hôpital, treize Oblates sont réunies dans la chambre de l’Hôpital qui habituellement en abrite trois !

Cinq autres attendaient à Oradea le passage des touristes françaises qui devaient, d’après leur programme, passer la soirée et la nuit dans la ville. La date d’arrivée à Bucarest nous paraissait avoir été choisie par la divine Providence. Tout était donc merveilleusement ordonné pour que les Sœurs jouissent librement, à l’Hôpital, de la présence de Mère M. Augustine et de celle de Sr Noëlle-Elisabeth ORGAERT .2

Le calme n’a pas duré longtemps, car le 9 février 1957, vers 13 heures, une religieuse connue des Sœurs se présenta à l’Hôpital et demanda à Sr Alexandrine BORA de se rendre chez le P. François VAN DER JONCKHEID qui avait une lettre à lui confier ; cet appel ne souffrait pas de retard et elle trouverait le Père à la sacristie de l’église St Vincent de Paul. Les choses se faisaient si prudemment et si discrètement qu’à l’exception d’une seule Sœur, aucune Oblate n’avait connaissance de cet échange de correspondance.

Sur le chemin, la Sœur remarqua la présence de plusieurs jeunes gens, mais elle se hâta vers son rendez- vous. Le P. François se trouvait à la sacristie. Il lui donna la lettre ainsi qu’un petit colis. Contrairement à l’habitude, la lettre était ouverte. Après quelques minutes de conversation, le religieux et la Sœur se séparèrent.

Les policiers montèrent avec elle dans le bus et descendirent à la même station. Sur le trottoir, deux personnes étaient en train de se disputer. Les agents qui avaient suivi Sr Alexandrine, se sont approchés d’elle et lui ont demandé de monter dans la voiture pour être conduite au bureau de police, à cause de cette dispute qu’elle avait provoquée, selon leurs dires.

Et la voilà partie sur des chemins inconnus, semés de pièges insoupçonnés, monde de peur, de souffrance, monde de terreur, de mensonge… monde de vie avec Dieu.

Toujours le 9 février, durant la nuit, les Sœurs reçurent aussi une visite … Leur repos fut de courte durée… Vers 23 heures, des coups retentissants sont frappés à leur porte et les agents de la police entrent dans la chambre des Sœurs pour y chercher des armes…

Peu après une heure du matin, la novice, Josefa ERDES est conduite dans la chambre qu’elle partageait avec Sr Alexandrine, pour une nouvelle et minutieuse perquisition. Aucun détail ne fut négligé ; puis la novice elle- même fut arrêtée et emprisonnée. Sr Alexandrine fut condamnée à dix ans de travaux forcés pour « organisation religieuse, diffusion d’écrits anti-communistes et haute trahison », la novice Josefa, à six ans de détention, en raison de ses « activités religieuses ».

Durant le printemps de 1957, eut lieu une nouvelle arrestation suivie de condamnation. A Oradea, Sr Lucile BITAŸ fut inculpée d’activités religieuses pour avoir donné à une novice un livre de formation religieuse et condamnée, de ce fait, à trois ans de prison.

Ensuite, le gouvernement a donné l’ordre de renvoyer toutes les novices dans leurs familles. Les religieuses non roumaines furent invitées à regagner leur pays d’origine avant le mois d’octobre.

La surveillance exercée sur les Oblates se fit de plus en plus étroite ; les convocations au Bureau de Police pour interrogatoires et investigations systématiques sur leurs activités et sur celles de leurs compagnes emprisonnées se multiplièrent, mais les Sœurs puisèrent « sagesse et force » dans la prière.

Sr Lucile a été libérée en 1960 après avoir accompli sa peine de trois ans de détention, qui avait gravement ébranlé sa santé. Sr Josefa a été libérée en 1964, après six ans de détention et un an de camp de concentration dans la zone du Bărăgan.

Le 15 avril 1964, les détenus politiques firent l’objet, non d’une amnistie, mais d’une mesure générale de grâce. Cette loi a permis à Sr Alexandrine de sortir de prison après sept ans de détention et de travaux forcés. Sr Alexandrine fut invitée par l’Ambassade de France à déposer auprès des autorités roumaines une demande de passeport pour aller en France. Quatre mois plus tard, le 6 avril 1965, Sr Alexandrine pouvait quitter la terre roumaine. Elle le faisait dans la grande paix qui naît de l’obéissance et du profond chagrin de se séparer de ses Sœurs.

Pendant cette période de persécution, de communisme, les Sœurs ont été une présence silencieuse de Dieu parmi la population, elles ont travaillé au service de l’Église, dans la volonté de soutenir les personnes dans leur dur cheminement spirituel. Le port du costume religieux leur était interdit, mais aussi bien sur leur lieu de travail que dans leur milieu de vie, elles étaient connues comme “SOEURS”.

Nous ne pouvons pas ne pas souligner le dévouement, le soutien fraternel avec lequel les Pères de l’Assomption, particulièrement le P. Louis BARRALE et le P. Vitalien LAURENT ont travaillé pour le développement de la fondation des Oblates en Roumanie. Les Sœurs se sont vraiment senties soutenues, aidées, réconfortées… par la présence et le soutien moral, humain, spirituel des Pères Assomptionnistes.

L’idéal religieux, spirituel et apostolique des Sœurs, nourri de la sève de leur consécration, illuminait et fortifiait leur vie toute entière. Dans les moments difficiles elles ont gardé courage, car elles n’étaient pas seules : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Mt 18.20

Soeur Bernadetta ZEDIU – Assistante Provinciale (Europe)

1 Monographie des OA en Roumanie, pg 48

2 Cf Monographie des OA en Roumanie, p. 105

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