Une très belle lettre du Père d’Alzon aux Adoratrices le 12 juin 1857

Le Crucifix

Avez-vous un crucifix et comment vous comportez-vous à son égard? D’abord, laissez-moi vous engager à vous en procurer un comme celui des religieuses. Il y a là un certain avantage. Les crucifix trop petits n’inspirent pas beaucoup de dévotion (à moi du moins) ; les crucifix trop grands gênent. Si vos robes vous permettent de le porter sur vous, quittez-le le moins possible, mais arrangez-vous de façon que vous puissiez vous en servir quand vous voudrez, le mettre sur votre table quand vous écrivez, sur vos genoux quand vous travaillez, afin de le regarder de temps en temps, et de le baiser; entre vos mains, quand vous vous endormez.
Certes, rien n’est plus précieux que la communion fréquente et que l’adoration du Saint Sacrement; mais on ne peut pas avoir toujours Notre-Seigneur substantiellement présent dans le cœur; on ne peut pas être constamment à ses pieds; on peut avoir toujours son image sur soi ou avec soi, et cette image vous dit bien des choses.


L’Ami de tous les jours

Si, le matin, en vous levant, vous baisez votre crucifix avec amour et vous promettez de porter tout le long du jour votre croix, en marchant sur les traces du divin Crucifié; si pendant votre méditation — à moins de la faire à l’église — vous tenez la croix entre vos mains et vous vous proposez de vous immoler sur l’autel du sacrifice de Jésus; si pour réveiller votre ferveur, vous portez de temps en temps la main sur votre crucifix, si vous le serrez plus fortement dans les moments d’angoisse, de peine, de luttes, de tentations; si, au moment de partir pour faire quelque bonne œuvre, vous l’adorez en vous rappelant que c’est encore Jésus-Christ que vous allez secourir dans les pauvres; si, au moment de pratiquer quelque austérité, vous baisez les plaies divines qui sont les fontaines de la vie de l’Église et les sources de notre purification; si, le soir, vous allez à ses pieds rendre compte de votre journée, de votre orgueil devant ses abaissements, de vos vanités devant ses humiliations, de votre lâcheté devant ses angoisses, de votre paresse en présence des sueurs répandues par ce corps divin ; de votre égoïsme en face de son amour infini ; de vos impatiences, de vos dépits, de vos défauts de charité en face de ses longues attentes et de cette inaltérable douceur ; ah! mes enfants, il me paraît bien difficile que votre crucifix ne devienne pour vous un ami, un confident ; ou plutôt Notre-Seigneur vous aimera, vous instruira, vous fortifiera à travers son image, et, dans ce commerce plus continuel, par cet intermédiaire muet mais béni, pourtant, avec votre époux, vous sentirez comme une transformation de tout votre être.

Transformation en Jésus Crucifié
Ce ne sera plus seulement le bois, le métal qui reproduira pour vous les traits du Sauveur ; ils se graveront d’une manière plus vivante dans votre âme. Vous sentirez l’action plus immédiate de celui qui a été, pour vous, attaché à la croix; vous voudrez vous transformer en lui, dire comme saint Paul : « Vivre, pour moi, c’est Jésus-Christ »; et votre vie prenant un caractère nouveau, vous découvrirez de nouveaux horizons dans la science chrétienne, où vous vous laisserez emporter par l’amour; et toute vie, toute science, tout bonheur se résumeront dans ces deux mots : « Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié » ; Jesum Christum, et hunc crucifixum.


Au moment de s’endormir

Vous avouerai-je en toute simplicité que le meilleur moment pour moi est surtout le soir, au moment de m’endormir. Il ne faut pas beaucoup d’efforts pour se laisser aller à penser à ce bon Maître, dont on fient l’image entre les mains. On lui dit qu’on l’aime ; on lui demande pardon de ses sottises ; on est tout à coup frappé de ce pardon qui tomba du haut de la croix; comme un remords, on songe au mal que le péché lui a fait, au temps que l’on a perdu, aux grâces que l’on a reçues; on le remercie de ses bienfaits ; on lui fait des promesses enflammées; on rougit d’être dans un bon lit, quand il est mort, lui, sur un gibet; on s’excite à l’aimer, à réparer le temps perdu. On adore Dieu le Père en lui présentant son Fils ; on invoque le Saint-Esprit qu’il nous a envoyé ; on prie pour l’Église qui naquit sur le Calvaire ; on rougit d’être si mauvais chrétien ; puis on prend courage dans la pensée de l’amour et de la puissance de Dieu, et, si le sommeil n’est pas venu, on trouve le temps court en pareille compagnie.
Voilà, mes chères filles, quelques idées, qui, je le désire, vous porteront à lier un commerce intime avec votre crucifix ; il vous rendra Jésus plus présent à l’esprit et au cœur. Que voulez-vous de plus?
Je désire apprendre que votre Association croît tous les jours en vertus solides, en humilité, en simplicité, en amour de Dieu. Priez la Sainte Vierge de vous apprendre comment vous devez coller vos lèvres sur les plaies de son Fils, et y prendre le courage et l’ardeur qui doit distinguer des vierges, épouses d’un Dieu.
Que la croix soit votre bien, votre espoir, votre vie et votre récompense !



Ecrits Spirituels p. 1229

Partager cet article avec vos amis !