L’enseignement de Saint Thomas d’Aquin nous apprend que « la justice de Dieu est toujours colorée de miséricorde et de charité. ». De ce fait, elle se distingue de la justice profane. Alors que cette dernière conduit au tribunal de la cour pénale, la justice de Dieu nous rassemble autour de l’autel de la miséricorde où nous apprenons à devenir des témoins du pardon par imitation de Jésus-Christ. Les paragraphes qui suivent démontrent cela sous l’inspiration de l’extrait de l’évangile de saint Luc (7, 36-50).
En effet, dans la Bible, nous trouvons des passages qui nous parlent de différentes rencontres de Jésus avec les pécheurs et, pour le cas qui nous concerne, la rencontre de Jésus avec une femme pécheresse (Luc 7,36-50). Ce passage montre comment Jésus a voulu traduire en acte, le pardon de Dieu. Ici, Jésus se présente comme un juge qui, loin de condamner, pardonne, réconcilie et restaure la dignité humaine. Son jugement devient beaucoup plus manifeste dans le mystère pascal qui révèle la plénitude de la miséricorde divine. Quelle que soit la gravité du péché qui nous éloigne de Dieu, l’amour de Dieu nous couvre de son ombre. Par ailleurs, le livre des psaumes nous apprend que la miséricorde est plus grande que notre péché (Cf. Ps 50, 3-19). Cela étant, aussi grand que puisse être notre péché, plus grande est la miséricorde de Dieu. Plus précisément, pour emprunter les mots de saint Paul aux Romains, « là où le péché abonde, la grâce surabonde » (Rm 5,20).
Avec ces prémices, revenons sur l’extrait de Luc (7,36-50). Dans ce passage, Simon a une image d’un Dieu législateur qui rejette et exclut, un Dieu qui ne se mélange pas avec les pécheurs. Il est sans doute très satisfait de sa conduite, persuadé qu’il n’a rien à se reprocher. L’attitude de Simon montre qu’il est gêné de voir la femme surgir chez lui, mais il n’ose pas intervenir car cette femme s’est réfugiée humblement aux pieds de Jésus.
Elle a compris que tout lui a été pardonné avant même que cela ne soit dit avec les mots. Sans parler, elle pleure abondamment et les pieds du Seigneur sont arrosés par ses larmes. Ce sont des larmes précieuses pour Dieu. Ses cheveux dénoués sont l’expression visible de son deuil.
Elle s’en sert pour essuyer les pieds de Jésus avant de les couvrir de baisers et de les oindre avec le parfum. Voyant cela, Simon s’interroge sur l’identité de Jésus, il le disqualifie comme prophète et qualifie la femme de pécheresse. En fait, selon la représentation du pharisien, un vrai prophète n’accepterait pas d’être touché par une femme impure. Une telle représentation fait écho à l’imaginaire du fils aîné dans la parabole de l’enfant prodigue en Luc (15, 11-32), son indignation de voir son père embrasser son fils pécheur et célébrer son retour.
Pour recadrer et orienter l’imagerie de Simon vis-à-vis des pécheurs, Jésus lui raconte la parabole du créancier et les débiteurs en Luc (7, 40-42). De cette manière, il invite Simon à changer de regard et à comprendre que les gestes de la femme sont des gestes de reconnaissance de la part de celle qui ressent la douleur de sa faute. La parabole réoriente ainsi le regard de Simon sur lui-même. Lui aussi est un débiteur gracié. Dans cette dynamique, Jésus nous fait comprendre l’attitude de la femme par deux expressions qui résument toute la scène : « Tes péchés sont pardonnés » et « Va, ta foi t’a sauvée ».
Rituellement, sur le plan liturgique-sacramentel, il s’agit là d’une absolution qui vient toujours après la confession dans un contexte où le pardon est d’avance une garantie pour celui qui entreprend le chemin de retour à la source de la miséricorde. La femme a été pardonnée du fait qu’elle a manifesté le regret de son péché et a fait une démarche de foi vers Jésus. Ses larmes peuvent être perçues en parallèle avec les larmes de Pierre lui-même après le triple reniement en Luc (22,62). Le regard que Jésus pose sur Pierre n’a rien du reproche. Il s’agit plutôt d’un regard de miséricorde, de pitié et de pardon.
L’évangile de Luc met en lumière la portée théologique du pardon. L’amour de la personne pardonnée engendre le pardon, expression la plus authentique de la justice-miséricorde de Dieu. La rencontre de Jésus avec la femme pécheresse dans la maison de Simon nous dévoile que Dieu est père et fait confiance à ses enfants et leur donne toujours l’opportunité de pouvoir expérimenter la bonté miséricordieuse dont le mystère pascal est l’expression la plus parfaite (Cf. Mt 26,28).
Tirons maintenant une conclusion qui ne prétend pas épuiser le thème de la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ. La miséricorde de Dieu est à la fois un don et une tâche qui s’articule autour du couple pardon-justice pour autant que, selon le Pape Jean-Paul II, « il n’y a pas de pardon sans justice, ni de justice sans miséricorde1». Dans le même sens, pour reprendre les mots de Alexis Valyamugheni, « Une justice sans amour condamne là où la justice avec amour, pardonne. Le juridique n’est pas ici disqualifié ou rejeté. Il est plutôt élevé à une hauteur supérieure de l’amour où le sujet vaut plus que l’acte commis2».
Sr Joséphine KAVIRA SIVAHIKYAKO
1 Jean Paul II, Message pour la journée mondiale de la paix (Janvier 2002).
2 Alexis Valyamugheni, La crédibilité du message chrétien face aux enjeux actuels dans la région des grands lacs, Roma, 2024, P.169.
Illustration : Internet